Comment voter pour le budget participatif ?

Le budget participatif a pris racine en France depuis le début des années 2000. Initié à Porto Alegre en 1989, ce dispositif permet à des habitants non élus de participer à la conception ou à la répartition des finances publiques sur leur territoire. En France, l’importation de la démarche a justifié quelques ajustements de sorte à ce que le budget participatif se traduise par l’allocation d’un montant du budget d’investissement par la collectivité territoriale aux habitants pour proposer et décider de projets d’intérêt général.
En 2019, 170 collectivités territoriales, toute taille confondue, ont adopté cette démarche participative. Pour Yves Sintomer, Anja Röcke et Julien Talpin, dans leur étude sur le Budget Participatif des Lycées de Poitou-Charentes, « la procédure implique une dévolution au dispositif participatif d’un pouvoir décisionnel exercé à travers un vote qui permet de hiérarchiser les projets impliquant des sommes importantes ». Ainsi, la phase de vote du budget participatif représente une étape essentielle qui vient légitimer les décisions qui ressortiront de la démarche. Dans cet article, nous détaillons les modalités de vote du budget participatif. Qui peut voter ? Quels sont les différents modes de vote possibles ? Quels sont les taux de participation des budgets participatifs ?
Qui peut voter ?
L’accès au vote du budget participatif
L’une des particularités du budget participatif réside dans le fait que le vote prend un tout autre sens que celui que nous connaissons lors des scrutins électoraux. Au lieu de choisir un élu représentant, la phase de vote du budget participatif est vouée à sélectionner des projets qui seront directement réalisés par la collectivité territoriale.
De plus, le droit au vote est considérablement élargi comparativement aux conditions d’accès lors d’un scrutin électoral. En effet, la majorité des collectivités territoriales qui ont mis en œuvre cette démarche n’exige pas de posséder la nationalité française ou même d’avoir la majorité. Par conséquent, tout le monde peut voter à condition de résider sur le territoire (même les résidents hors UE) et d’être en âge (selon le règlement du budget participatif établi). Par exemple, le budget participatif de la Ville de Paris n’impose pas de condition d’âge et celui du Département des Landes accorde le vote à tous ses habitants à partir de 7 ans.
Authenticité et fiabilité du scrutin
Ce suffrage fonctionne différemment de celui des scrutins électoraux car son accès ne dépend pas de l’inscription aux listes électorales. Dans ce cas, comment assurer l’authenticité des votes et la sincérité du scrutin ? Puisque le vote du budget participatif porte un caractère décisionnel, son authenticité et sa fiabilité sont primordiales. Ainsi, l’organisateur du budget participatif doit s’assurer qu’une personne vote une seule fois et qu’elle correspond aux critères déclinés dans le règlement (âge, lieu de résidence, …). Au Portugal, le vote se fait par SMS. Une telle procédure comporte plusieurs biais. Il est difficile de certifier l’émetteur du SMS ou encore de savoir si la personne réside bien sur le territoire. De même, les consignes de vote au sein d’un même cercle social s’avèrent aisées. Au Brésil, le vote se fait plutôt à distance grâce à la carte d’électeurs.
En France, la procédure se déroule le plus souvent en ligne avec certification de l’adresse e-mail par l’envoi d’un lien d’authentification ou aux urnes. Quelques collectivités territoriales demandent à leurs habitants de se connecter à leur compte utilisé habituellement pour les démarches administratives en ligne. Mais encore, l’authentification via France Connect commence à faire de plus en plus son chemin.
Comment voter à un budget participatif ?
Comme l’indique Gilles Pradeau, doctorant à l’Université de Westminster, aucune méthode de vote n’est sans défaut, ni ne satisfait tous les critères. En revanche, c’est en prenant en considération ses limites qu’il est possible de maximiser la confiance dans le processus décisionnel et l’égalité des chances entre les porteurs de projet.
- Vote unique
Sans doute la modalité la plus simple ; parmi une série de projets, le participant en choisit un seul. C’est le mode de scrutin le plus intuitif du fait de sa similarité avec l’élection présidentielle. Il est aussi le plus simple à traiter sur le plan logistique. Ce type de scrutin laisse la voie ouverte à un vote stratégique, les participants n’ayant pas nécessairement à porter intérêt aux autres propositions.
- Vote multiple et vote préférentiel
Assez simple également, le vote multiple permet de voter pour un nombre déterminé de projets. Cette organisation limite l’action des groupes d’intérêts étant donné qu’il est obligatoire de voter pour plusieurs initiatives. Le vote préférentiel permet d’ajouter un principe de hiérarchie à cette sélection, on classe par exemple son premier, deuxième et troisième choix. La Ville de Montreuil a appliqué cette méthode en laissant ses habitants classer trois idées.
- Vote par répartition et vote pondéré
L’idée est de fournir une enveloppe budgétaire (par répartition) ou de points (pondéré) et de laisser les utilisateurs décider quoi faire de ce capital à distribuer ; tout investir dans une opération d’ampleur ou le répartir entre plusieurs. La version avec une enveloppe budgétaire présente l’avantage d’être ludique ; au Royaume-Uni par exemple, des billets fictifs ont été remis à des enfants lors d’un budget participatif qui leur était dédié. Cet exercice offre un rapport très « terre à terre » aux enjeux et contraintes des dépenses publiques.
- Vote par note ou vote de valeur
Les votants sont invités à attribuer une note sur un barème donné ou une mention (très bien, passable, à rejeter, etc.) pour chaque proposition. Ainsi, les participants portent attention à tous les projets présentés. Cette méthode est régulièrement mise en avant en France dans la société civile.
- Vote par approbation
En principe, c’est un système où l’on soutient autant de projets que l’on souhaite ; tous, plusieurs, un, ou aucun. Depuis 2020, il est employé pour les élections municipales de Fargo (États-Unis) à la suite d’un référendum. Dans les faits, pour les budgets participatifs, on prévoit en général un nombre minimum et maximum de contributions sur lesquelles statuer.
- Vote D21 (Democracy 2.1)
Assez récent, ce mode de scrutin a été inventé par un mathématicien tchèque. Il prévoit l’attribution d’un certain nombre de votes positifs et négatifs, il a notamment été utilisé pour le budget participatif de 38 millions de dollars de New York. On peut ainsi identifier les idées les plus consensuelles et, à l’inverse, les plus clivantes. La possibilité d’un vote négatif, surtout dans un contexte politique polarisé, peut conduire à un meilleur taux de participation. Ceci étant dit, ce modèle peut inciter à des campagnes de dénigrement.
Comme vous pouvez le remarquer, les modes de vote présentés ci-dessus proposent pour la grande majorité d’entre eux, d’avoir plusieurs voix dans un même vote. Tout simplement, cette logique permet d’éviter le vote pour son propre projet et de valoriser l’intérêt collectif. Le système de vote du budget participatif ne constitue pas un choix neutre. Au contraire, il représente une décision importante qui symbolisera les objectifs recherchés et les valeurs portées par le dispositif.
Quels taux de participation des budgets participatifs ?
Le vote du budget participatif constitue l’une des phases indispensables du budget participatif. Il dépasse l’expression d’une opinion et vient légitimer la dépense de la collectivité ainsi que le bien fondé des projets. D’autre part, la décision de financer des projets en particulier revient aux habitants.
« Le vote concentre l’attention du budget participatif. Il a valeur de symbole démocratique pour une forme de participation nouvelle. »
Antoine Bézard, « Budgets participatifs : donner du sens à la participation des citoyens« , Fondation Jean Jaurès
Pourtant, en 2019, la moyenne des votants se situe à 5% pour les budgets participatifs communaux. Ce chiffre paraît relativement faible bien qu’il soit en progression. Par exemple, de plus en plus de grandes villes parviennent à dépasser les 10% de participation. Or, comprendre le taux de participation par l’analyse du vote, c’est interroger ce qui peut constituer un frein à la participation lors de cette étape cruciale. Plusieurs éléments peuvent être pris en compte.
Les effets du vote du budget participatif sur la participation
Tout d’abord, le vote de valeurs ou le vote par approbation exige des participants de prendre connaissance de la totalité ou d’une partie importante des projets avant de soumettre son choix. Ensuite, en fonction des modalités choisies, les obstacles au vote seront plus ou moins élevés que ce soit à cause de la contrainte imposée ou de la complexité de la procédure. Ici, nous pouvons citer le vote préférentiel qui exige de faire une première sélection avant de hiérarchiser. De plus, en 2018, seules 35,5% des collectivités territoriales cumulent le vote en ligne et le vote papier. Le vote papier conserve une symbolique forte et permet de rendre visible la démarche dans l’espace public. Cependant, l’outil numérique permet d’élargir le socle des participants.
Enfin, la fiabilité du vote et la confiance dans le processus constituent deux facteurs qui jouent sur le taux de participation. Lors du lancement du réseau national des budgets participatifs, les villes de Grenoble, Paris, Rennes et Montreuil ont défini 4 grands principes afin de garantir la sincérité de la démarche :
- Un pouvoir effectif donné aux citoyens de présenter des propositions et de voter ;
- La transparence de la démarche ;
- La dimension inclusive du processus ;
- La pérennité et la reproduction régulière du dispositif.
Bien sûr, d’autres variables nécessitent d’être prises en compte pour appréhender une potentielle évolution du taux de participation. Dans les collectivités territoriales qui mènent cette démarche depuis quelques années, les taux de participation tendent à progresser. Il y a un effet d’apprentissage de ce processus qui peut s’avérer complexe. L’institution se doit de communiquer et être pédagogique de sorte à expliquer à un large public qu’ils doivent décider d’une partie du budget sous la forme de projets que, eux-mêmes, proposent. Mais encore, à partir des expériences menées, des améliorations peuvent suivre sur des variables telles que : les publics mobilisés, les temps de vote, les lieux choisis pour les votes aux urnes, les horaires et les évènements pour aller à la rencontre des habitants.